Mercredi dernier, par une journée ensoleillée où la neige tombée pendant la nuit était abondante et légère, je roulais sur les Plaines d'Abraham, un grand parc situé près du Vieux-Québec et où les touristes aiment aller profiter de la vie.
Il n'y avait aucune circulation automobile en cette matinée. Et voilà ce Français (je suppose), piqué debout au milieu d'une intersection, le nez dans ce qui m'a semblé être un guide de voyage.
En passant à sa hauteur, je lui demande avec mon accent d'Amérique: "Qu'est-ce tu cherches?" (sic)
En souriant, il me répond: "Comme ça, je lis."
Je le quitte en lui disant: "Belle place pour lire!" C'est vrai, l'endroit est magnifique. D'ailleurs moi aussi je lisais. Le terrain. Là où il n'y avait pas de traces de pas ou de voiture, mon vélo avançait en douceur, malgré les vingt centimètres de neige au sol. Chouettes, les pneus de cyclocross.
Vus des Plaines, l'Assemblée Nationale et l'hôtel Hilton de Québec.
La semaine dernière, j'ai dépoussiéré quelques numéros d'un magazine depuis longtemps disparu: BIKE TECH. Sous-titré Bicycling Magazine's Newsletter for the Technical Enthusiast.
Je me suis arrêté particulièrement au numéro d'avril 1984, à cause d'un article intitulé: The Aluminum Rim: Design and Function écrit par un ingénieur-concepteur de jantes chez Mistral Rims, une division de TI Sturmey Archer Ltd., Chris Juden.
L'article m'intéresse d'autant plus qu'il nous fournit des chiffres au sujet de la solidité (strength, la force), la rigidité (à ne pas confondre), en plus du poids de quelques modèles de jantes de l'époque. On pourra regretter qu'il ne s'agisse pas de jantes couramment disponibles. Mais les chiffres sont éloquents et je n'ai aucune raison de croire que l'aluminium utilisé maintenant soit tellement différent de ce qui était disponible à l'époque. Corrigez-moi si je me trompe. Bien sûr, à l'occasion, une marque ou l'autre a vanté les mérites de sa nouvelle recette métallurgique, mais ces recettes ont tendance à disparaître après quelques années au profit d'une nouvelle merveille technologique ou même au profit de... rien du tout. On range tambours et trompettes.
En fait, les innovations concernant les jantes, depuis la publication de l'article, sont surtout ce qui suit:
- Les jantes profilées se sont répandues.
- L'apparition des jantes en fibre de carbone (haut-de-gamme seulement)
- Le machinage de la piste de freinage, ainsi que le sillon indicateur d'usure de flanc.
- Les jantes spécifiquement construites pour les freins à disque, c'est-à-dire sans piste de freinage.
Ça, c'était avant la dernière neige.
L'exception, c'est la Weinmann 256 qui, malgré son poids, n'est ni rigide ni solide. Regardez sa coupe: il s'agit d'une jante à simple paroi qui n'a pas de "boîtes" sur les côtés, donc probablement moins chère à produire pour ces raisons.
Ailleurs dans l'article, on peut confirmer cette tendance sur des graphiques qui montrent qu'on peut presque tracer une diagonale parfaite dans le compromis entre la robustesse et la légèreté.
Tout cela me conforte, si besoin était, dans mon approche du choix des jantes que j'utilise personnellement et que je propose à mes différents clients.
A) La jante avant est moins sollicitée que la jante arrière, à cause de la répartition du poids des cyclistes sur leurs vélos, et à cause de l'absence de motricité à l'avant.
B) La jante arrière est légèrement défavorisée par l'effet parapluie rendu nécessaire par la présence de la roue libre/cassette du côté droit de la roue arrière. La conséquence, c'est qu'il y a toujours, à divers degrés, une différence de tension entre les rayons arrière gauches et ceux du côté droit. Malgré le fait qu'on utilise habituellement une longueur de rayons différente des deux côtés.
C) Certains cyclistes ont un historique de roues fausses ou abîmées pour différentes raisons. Ce n'est heureusement pas le cas de tout le monde, et c'est pourquoi j'aime en tenir compte lorsqu'un ou une client/e envisage l'achat d'une roue ou d'un vélo.
D) Les jantes plates ou concaves qu'on voit sur ce tableau ont tendance à être plus légères que les jantes profilées qui sont maintenant devenues familières. Plus le profil est marqué, plus la jante sera lourde et rigide. Certaines caractéristiques peuvent influencer le résultat final, mais, en gros, la règle s'applique et vous pouvez considérer que les jantes à profil élevé seront plus indiquées pour des parcours plats à vitesses élevées que pour des parcours côteux où un poids élevé peut devenir un handicap flagrant.
E) La rigidité n'est pas un avantage pour tous. Une personne légère et/ou peu puissante percevra comme désagréable et tape-cul ce qu'une personne à fort gabarit ressentira comme un avantage. Pour cette raison, un vendeur de vélo athlétique et de bonne foi pourrait donner de mauvais conseils à un utilisateur occasionnel peu entraîné.
Les Plaines sont maintenant débarrassées des Carnavaleux. On peut en jouir librement.
Sur la base de tout cela, quelques chiffres. Les miens d'abord. Je suis un cycliste de taille moyenne et mes qualités athlétiques (qui n'ont jamais été extraordinaires) sont en perte de vitesse. Je n'ai pas d'historique de roues abîmées pour cause de maltraitance inutile et je suis abonné aux parcours côteux. Sur mon vélo de route (700 x 23), une jante de 406 grammes à l'avant, avec 24 rayons croisés de un. À l'arrière, une jante autour de 470 grammes avec 36 rayons croisés de 3. Sur mon vélo polyvalent (asphalte/gravelle, utilitaire/récréatif, 700 x 28), une jante de 406 grammes à l'avant, avec 32 rayons croisés de trois. À l'arrière, une jante de 625 grammes avec 36 rayons croisés de trois. Et sur mon vélo d'hiver, deux roues économiques à 36 rayons, qui seront remplacées à faible coût lorsqu'elles laissent trop à désirer sur un point ou un autre. De toute façon elles subissent un vieillissement accéléré.
Pour ce qui est de mes clients, mes recommandations varieront sur la base de tout ce que vous pouvez lire ci-dessus. Gabarit du cycliste, style de conduite, terrain fréquenté, compatibilité avec la largeur de pneus désirée. Évidemment, la marque/modèle de jante n'est pas le seul critère: le nombre et la qualité des rayons ont leur importance aussi.
Vous remarquerez que, dans le cas des roues de route (700 x 23) de haut-de-gamme, assemblées par les compagnies qui les offrent (Mavic, Zipp ou autres Easton), les dites compagnies s'abstiennent soigneusement de nous dire combien pèsent les jantes. Comme si ça n'avait pas d'importance! Elles ne donnent que le poids des roues complètes. Et comme par hasard Shimano, dans son catalogue 2014, nous donne le poids des jantes de la roue WH-9000-C24-CL: 384 grammes. J'espère qu'elles sont bonnes, ces jantes, car elles ne sont supportées que par 16 rayons à l'avant, et 20 à l'arrière... Sinon, pour les autres roues du catalogue, aucune mention, seulement des poids de roues complètes. Attendez, non! La roue à boyau WH-9000-C24-TU en est à une jante de 265 grammes!!! Avantage injuste: les jantes à boyau sont plus légères. Et permettez-moi d'ouvrir ici une parenthèse au sujet de ce type de roues modernes qui ont nettement moins de rayons qu'il n'y a de dents dans votre bouche (j'espère pour vous!): conservez votre facture. Il y a eu des campagnes de rappel ces dernières années et ce, chez plus d'un manufacturier. Et même, dans certains cas, il n'y a pas eu de telle campagne même si le produit vieillissait un peu trop vite.
À propos du poids des jantes, un petit détail: on m'a dit, il y a quelques années, que Mavic ne comptabilisait pas le poids des oeillets dans le poids total de la jante. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas s'ils le font encore, et je ne sais pas s'ils sont les seuls à faire ça. En tout cas, le poids annoncé pour leur A319 était de 595 grammes, alors que ma balance numérique indique 625 grammes. Il s'agit d'une jante à double oeillet.
Mon but, dans tout ça, est de ne pas avoir de poids inutile. On en ajoute, puis arrive un point où il y en a plus que ce que le client considère fournir une robustesse suffisante. Il traîne alors une charge qui donne le même résultat qu'une baisse de sa force. Ces dernières années, on a vu une prolifération de jantes profilées, sur des vélos qui n'en ont absolument pas besoin. Et pourquoi donc? Pas de mystère là-dedans: ça en met plein la vue, coup d'oeil moderne et tant pis si la victime de cette arnaque traîne deux jantes raides et lourdes. Consolation: elles seront assez robustes pour asseoir Honey Boo-Boo sur le porte-bagage!
Petite surprise à la lecture de l'article: les jantes simple paroi ne méritent pas leur réputation de fragilité. En regardant les trois tableaux, on voit bien que la seule jante simple paroi qui ne fait pas bonne figure, c'est la Weinmann 256 qui n'est pas équipée de boîtes latérales. Sinon les autres simple paroi, comme la Mistral 120 ou la Rigida 1622, sont en tête de peloton pour ce qui est de la rigidité ou de la résistance radiale (radial strength).
De plus, la pression exercée par la chambre à air gonflée vient stabiliser les écrous de rayons qui ont moins tendance à se desserrer pour cette raison. Celui qui a attiré mon attention sur ce phénomène vendait des milliers de roues à chaque année.
Et en plus de leur légèreté, les jantes de route/course sont désavantagées par leur étroitesse. En devenant plus larges, les jantes deviennent forcément plus rigide latéralement, à qualité égale. Mais notez qu'on ne voit jamais de jante route/course simple paroi. Les seules que je me rappelle avoir vues, ce sont les Weinmann concaves qui étaient proposées, durant les années '80, en version étroite pour pneus de 23 mm.
Finalement, dans beaucoup de cas, il me semble inapproprié d'avoir deux jantes identiques sur le même vélo. Je préfère avoir une jante légère en avant, où on a moins besoin de robustesse. Par contre il y a des cas où je préfère deux jantes identiques:
- Un vélo de cyclotourisme, avec une jante lourde et robuste en avant comme en arrière. Ça sert de garantie contre les ennuis en voyage, d'autant plus que le vélo sera probablement chargé.
- Un vélo d'hiver, avec deux jantes économiques et où le souci d'efficacité se déplace sur d'autres aspects du vélo.
- Un vélo de course équipé d'une paire de roues à jantes légères qui ne servent que le jour de la course. On peut mettre des roues moins délicates pour l'entraînement, ou utiliser un autre vélo tout simplement.
- Un vélo de descente tout-terrain, ou aussi un vélo tout-terrain très sollicité où deux jantes robustes vous éviteront de rentrer à pied...
Le mot de la fin: méfiez-vous d'un cycliste qui condamnerait une marque/modèle de jante sur la base d'une anecdote personnelle. Le stress cumulatif ou accidentel qu'une jante a subi aurait peut-être réussi à venir à bout de bien d'autres modèles. Et gardez à l'esprit que les jantes n'apprécient pas le stress latéral.
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Un peu... déjantée, la guitariste-chanteuse-auteure-compositrice-interprète Saint-Vincent:
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