lundi 23 décembre 2013

NOUVEAU PARADIGME.



Voilà, je ne manquerai pas de cadres en 2014. Ils sont arrivés, et ont été rapidement retirés du regard public en les installant confortablement dans leur entrepôt.

Sinon, en ce moment, c'est le temps des vacances, en partie en tout cas, car j'en profite justement pour... travailler. Mais sur autre chose, que je ne pourrais pas faire si j'étais à Québec. Et cette pause m'a donné l'occasion d'aller dans une bibliothèque qui m'a mis entre les mains un livre qui m'a interpellé dès que je l'ai vu sur les tablettes.


Mais avant de vous parler du livre, j’aimerais mentionner le fait que, indépendamment du sujet et de votre intérêt, ou absence d’intérêt pour ce sujet,  qu’il aborde des questions qui touchent la manière de travailler et d’aborder les choses en général. Il y est question d’innovation, d’intuition, de développement, de relations humaines et d’autres choses faisant partie de l’expérience humaine. C’est pour alimenter notre réflexion que ça vaut la peine de s’y arrêter.

 Que vous ayez ou non un intérêt pour cette musique n’est que secondaire étant donné que, de toutes façons, vous n’avez pas besoin d’aimer, d’écouter ou de connaître  cette sorte de musique pour trouver intéressant le processus de création qui l’a produit. Le rapport à l’innovation, à la nouveauté, est un aspect important qui influence chacun d’entre nous, dans tous les aspects de la vie.

En sortant du monde de l’enfance, il y a longtemps, je suis sorti d’un monde formel, où tout est strict, règlementé et dit par l’autorité, pour entrer en contact avec un monde qui m’a confronté avec le non-dit, l’intuitif et où la communication non-verbale occupe une place importante. Et où l’autorité n’est pas issue d’une hiérarchie institutionnelle, mais plutôt méritée d’une manière organique plus conforme à nos origines animales. Miles Davis était un animal. Un animal qui fascine certains, qui en dérange d’autres. Qui ne laisse personne indifférent et dont l’autorité s’imposait instantanément, sans l’aide des artifices extérieurs. 
 
Un jour, un musicien l’a abordé et lui a dit : ‘’Miles, you’re my man! But that new shit you’re into, I just can’t get with it’’. Et Miles lui a répondu: ‘’Should I wait for you?’’


Si vous demandez à des amateurs de jazz quel est leur album préféré de Miles Davis, et il y en a beaucoup de ces albums, ce sont souvent les mêmes qui reviendront. Kind of Blue, bien sûr, ou bien peut-être un de ceux qui ont été faits en collaboration avec Gil Evans. Il y a de bonnes chances pour que ce soit un des disques de la période acoustique, c'est-à-dire avant 1967. Bitches Brew (1970) a ses partisans, mais de là à le considérer comme son préféré, c'est une autre chose.

En tout cas je ne connais personne qui, comme moi, choisirait On the Corner pour l'amener sur la proverbiale île déserte. Quelqu'un, quelque part, oui, mais je n'en connais personnellement aucun. Et pourtant, je le vois comme l'aboutissement le plus réussi de la période électrique, du moins dans les premières années, alors qu'il jetait les bases de son virage où le Fender Rhodes a remplacé le piano acoustique et la contrebasse a laissé la place à la basse électrique. Le choc a été considérable, un peu à la manière de celui créé par Bob Dylan lorsqu'il a engagé Robbie Robertson avec The Band pour mettre de côté, en partie au moins, les guitares acoustiques.





Le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Québec, novembre 2013.



Le livre en question s'intitule MILES BEYOND  The Electric Explorations of Miles Davis, 1967-1991, écrit par Paul Tingen (Billboard Books). Dans la tradition du journalisme, le livre a été bien documenté à partir d'interviews de plusieurs musiciens ayant collaboré à cette production, et même à des gens de leur entourage comme Lydia DeJohnette. L'auteur est lui-même musicien, et son analyse des oeuvres pourrait se révéler fastidieuse pour certains lecteurs. Mais rien ne vous oblige à lire chaque ligne. Je trouve très intéressant ce qui y est dit au sujet de la méthode de travail et l'approche de Miles quant au choix des musiciens et la place qu'il leur fait. Peu d'échanges verbaux, interdiction de préparer lourdement les sessions d'enregistrement, c'est d'autant plus déstabilisant que beaucoup de ces musiciens étaient à l'époque très jeunes et relativement inexpérimentés. Même s'ils étaient extrêmement talentueux.

Si vous voulez entendre un exemple de cette musique, vous pouvez consulter mon message du 15 novembre 2013 dont le titre est: Patience et acharnement.

Miles avait une attitude. Il entrait dans la pièce et en imposait immédiatement. Intense, tous le disent. Et il fallait décrypter ses brèves indications, ce qui n'était pas toujours évident. Il insistait pour dégraisser la matière, la rendre plus significative en ne gardant que l'essentiel. Le batteur Billy Cobham: When you listen to Freddie Hubbard you hear trumpet proficiency par excellence, and then you hear Miles and he had a way of taking what Feddie did and compacting it in five notes. Those five notes said it all. The air around them became musical, and the silence became more profound and important. You just don't learn that. Miles somehow could just do that. 

Ces sessions pouvaient laisser perplexes leurs participants. Le claviériste Herbie Hancock: After we finished we walked out of the studio. And while we were standing in the hallway John McLaughlin came over and whispered to me, ''Can I ask you a question'' I answered, ''Sure''. He said, ''Herbie, I can't tell... was that any good what we did? I mean, what did we do? I can't tell what's going on!'' So I told him, ''John, welcome to a Miles Davis session. Your guess is as good as mine. I have no idea, but somehow when the records come out, they end up sounding good.''

N'oubliez pas que, lorsque ces enregistrements ont été faits, cette musique, ce son, étaient inédits. Rien de comparable n'avait vraiment été fait auparavant, ou si peu. Aucune oreille, pas même celle des musiciens, n'était habituée à ce nouveau paradigme. Pas surprenant que tant de gens aient été choqués par le nouveau Miles. Et malgré tout, Bitches Brew s'est vendu, très bien merci. Encore une fois, Miles (avec l'aide de quelques amis) réinventait la musique et tant pis pour ceux qui sont restés dans le passé. Lui, il regardait résolument en avant, comme tant d'autres personnages forts, dans tous les domaines. Autre petit détail qui n'en était pas un: une fois enregistrée, les bandes étaient réassemblées sans égard au déroulement de la pièce lors de son exécution en studio. Le réalisateur Teo Macero enlevait, répétait et déplaçait des segments entiers de pièces de façon à en faire un produit fini plus réussi.




L'Océan Atlantique, décembre 2013.



C'est une des choses que j'apprécie, de pouvoir me familiariser avec la vision et les façons de faire d'un personnage plus grand que nature, peu importe son domaine d'activité. C'est une manière de côtoyer un personnage habité par une intense volonté d'exceller. Beaucoup plus inspirant que de côtoyer des gens comme ce pathétique personnage qui m'a abordé avant-hier: Du début à la fin, son discours était négatif: ''Five years from now, this will be a ghost town!'' C'est ça, mon vieux, retourne sucer ton pouce avec ta mère.

J'aimerais penser que ma façon de concevoir les vélos s'approchent de cette vision épurée qui ne garde que l'essentiel. Pas seulement à l'extérieur (les accessoires), mais aussi à l'intérieur (les tubes du cadre). La légèreté m'inspire, et ses effets bénéfiques me réjouissent. Parfois, bien sûr, la fonction impose certaines choses, mais lorsqu'on peut....


But a gun is heavier than no gun!...


Et à la bibliothèque que j'ai fréquentée récemment, j'ai pu emprunter plusieurs disques compacts. Entre autres, un album du pianiste Brad Mehldau où on trouve une version de la pièce de Radiohead ''Everything in its right place". La contrebasse commence, puis le piano et la batterie suivent une minute plus tard.